La grande histoire d’un petit bassin
Le milieu humide aménagé sur la terre de ce québécois fait une grande différence pour l’environnement; ainsi que pour sa ferme et sa famille.

Il arrive parfois que la vie place sur notre route des gens de passion et de cœur, des gens d’exception qui ont « les valeurs à la bonne place » comme le dit l’expression québécoise. Alain Champagne, un producteur agricole visionnaire de Saint-Victor-de-Beauce, est de ceux-là.
Jeune, il courait les cours d’eau à proximité de la ferme familiale pour y pêcher et y chasser une faune abondante, typique du paysage vallonné des Appalaches. La famille adorait se baigner dans la rivière, et très souvent, elle y buvait même l’eau directement. Déjà, à cet âge, Alain se sentait interpelé par la nature. La vue de grandes concentrations de poissons dans certains bassins, ou de quelques canards en plaine inondable, savait l’émouvoir.
Issu d’une famille de producteurs agricoles, l’amant de la nature repris le flambeau de la ferme familiale en 1993, devenant ainsi la 7e génération à exploiter une production. Autodidacte, il développa une expertise et une vision remarquables, tournées vers l’exploitation responsable des terres ; cherchant constamment à travailler en symbiose avec son environnement. C’est ainsi qu’il devint l’un des premiers producteurs du Québec à accéder à un club-conseil agro-environnemental.
Alain Champagne se rappelle : « Au milieu des années 60, c’est tout mon environnement que j’ai vu changer. Y ayant grandi, j’étais à même de constater l’ampleur des changements qui s’y opéraient. Dorénavant, l’eau changeait de couleur dès les premières gouttes de pluie, la rivière gonflait plus rapidement, et l’érosion s’activait à un niveau préoccupant sur les bords de la rivière. J’ai même vu trois ponts routiers être emportés lors d’une même grosse crue. Un sentiment d’alerte s’est installé en moi. Je sentais qu’on me dérobait le cadre idyllique de ma jeunesse, où je chassais et je pêchais nonchalamment sans me soucier du lendemain. L’intensification du drainage des terres et du reprofilage des cours d’eau souvent démesurés, et les pratiques agricoles qui s’éloignaient de la logique de la nature en étaient la cause. Je devais agir ! »
Désireux d’adoucir ces procédés jugés excessifs, et surtout d’atténuer leurs impacts négatifs sur l’environnement, Alain Champagne décida de s’impliquer dans la promotion de méthodes d’exploitation davantage en harmonie avec l’environnement. À cette époque, il participe à des colloques spécialisés, il donne des conférences et des formations. Mais il comprend aussi rapidement que pour toucher directement les producteurs, il doit être en mesure de prouver ce qu’il avance en s’appuyant sur des exemples. Il doit référer à quelque chose de concret, de tangible.
Poursuivant le désir de prouver à ses pairs qu’il est possible de faire son bout de chemin pour compenser les dégâts en mettant à profits cette petite parcelle de terrain inutilisable, et parfois même problématique, que tout producteur a sur sa terre, il décide en 2013 d’aménager au pied de sa colline un bassin de rétention pour y recueillir l’eau des précipitations; puis un marais-épurateur pour la filtrer. Son objectif : s’assurer que la production agricole du bassin versant ne laisse pas de trace néfaste dans l’environnement. Il espérait, en prime, le retour de la faune caractéristique de ces milieux humides devenus trop rares. Alain obtint le financement nécessaire dans le programme Prime-Vert et auprès de la Fondation de la faune du Québec pour procéder à l’aménagement dont il rêvait. Fidèle supporteur de Canards Illimités depuis longtemps, il fit appel à l’expertise de l’équipe CI pour peaufiner l’aménagement du marais.
«Tous les producteurs devraient prendre le temps d’observer comment les choses se sont dégradées dans leur environnement, en commençant par voir l’eau turbide qui coule dans leurs fossés. Pourtant, la grande majorité possède sur leur ferme de tels sites aménageables où il est souvent difficile d’exécuter les travaux de base sans risquer de briser de l’équipement ou de s’enfoncer avec la machinerie.» rappelle Alain.
Aujourd’hui, l’aménagement du producteur beauceron joue le rôle de filtre tel qu’attendu. En prime, la faune et la flore y ont réélu domicile. On y observe à nouveau : poissons, grenouilles, visons, et plusieurs nouvelles espèces d’oiseaux. Le marais est devenu un lieu de détente pour tous les membres de la famille. Un nouvel équilibre s’y est établi. Preuve que l’humain peut harmoniser ses besoins avec ceux de la faune et de l’environnement qui l’entoure. Il s’agit d’être à l’écoute, de se comprendre et de faire équipe.