Il est grand temps de se préparer aux très grandes marées

Écosystème saumâtre, l’estuaire du Fraser, en Colombie-Britannique, est aussi un habitat crucial pour les centaines de millions de jeunes saumons qui migrent vers l’océan. Essentiel à la vitalité économique de la province et au maintien des modes de vie ancestraux des Autochtones, le saumon quinnat du Fraser est aussi la proie de prédilection de l’épaulard résident du Sud, une espèce en péril. Avec la baie Boundary, l’estuaire est le principal site d’hivernage au Canada pour la sauvagine.

Des recherches ont montré que les bancs Sturgeon avaient perdu quelque 160 hectares de marais salés depuis les années 1980. C’est énorme. En réponse, CIC mène un projet pilote pour mettre à l’essai une approche adaptée sur mesure. Chaque année, environ 1,6 million de mètres cubes de sédiment dragués du Fraser vont se déposer au fond de la mer au lieu d’être recyclés dans des projets de remise en état d’habitats. En association avec la Raincoast Conservation Foundation, Asarum Ecological Consulting et la Lower Fraser Fisheries Alliance, l’équipe de CIC met à profit un pipeline de livraison des sédiments temporaire pour pomper progressivement les sédiments dragués du Fraser dans la zone intertidale sud de l’île Lulu, au sein de l’aire de gestion de la faune des bancs Sturgeon. Le projet pilote dans lequel s’inscrit cette initiative en est déjà à la dernière de ses quatre années. La couche de sédiments étalée doit servir de fondation naturelle à la croissance verticale de la végétation des marais, ce qui compensera les effets de la hausse du niveau de la mer sur les écosystèmes et les populations.

CIC croit en outre que la remise en état de marais salés dégradés protégera aussi la ville voisine de Richmond contre les inondations côtières malgré la hausse du niveau des eaux. Il s’agit d’un projet « gagnant-gagnant-gagnant » de réutilisation des sédiments dragués au profit de la résilience écologique et de la protection du littoral. Dans sa conception comme dans son bilan, il pourra servir d’inspiration pour des interventions ailleurs dans le delta du Fraser, voire dans d’autres estuaires de la Colombie-Britannique.

2. Force de la nature : un partenariat profitable avec le secteur privé

Le projet pilote d’enrichissement des sédiments des bancs Sturgeon est l’un des nombreux chantiers rendus possibles grâce, entre autres, au soutien financier de l’initiative Force de la nature, en partenariat avec 17 grandes compagnies d’assurance de dommages du Canada. Force de la nature veut mener par l’exemple et montrer l’importance d’adopter proactivement des solutions fondées sur la nature pour accroître la résilience aux changements climatiques de nos milieux de vie.

Les enjeux sont immenses, car les inondations sont le danger naturel à la fois le plus commun et le plus onéreux. Selon un rapport de 2020 de l’Institut d’assurance du Canada, les coûts moyens des réclamations dues aux phénomènes météorologiques extrêmes devraient augmenter de 138 % durant la décennie pour atteindre 5 G$/année. Quant au Bureau d’assurance du Canada, il estime que ces phénomènes ont causé des dommages records de 7 G$ en sinistres assurés cet été.

Force de la nature mise aussi sur l’éducation et l’expérience pratique. Les assureurs partenaires organisent pour leur personnel des journées de terrain qui sont l’occasion de voir et de savoir tous les bénéfices du travail accompli pour les populations côtières.

3. La science citoyenne contre Spartina, une espèce envahissante qui menace les marais salés de Colombie-Britannique

On ne devinerait jamais que les estuaires du littoral britanno-colombien, si pittoresques et vivants, affrontent en sourdine la menace de Spartina. Cette plante des marais salés originaire de l’Europe et de la côte Est de l’Amérique du Nord a été découverte dans des vasières de la province au début des années 2000. Depuis, elle transforme petit à petit les écosystèmes, délogeant les espèces végétales indigènes et dégradant le potentiel des habitats fauniques. Avec le soutien financier des gouvernements fédéral et provincial et celui du Port de Vancouver, CIC et la British Columbia Conservation Foundation se sont associées pour mettre au point une application de cartographie et de classement de cette plante envahissante. Fonctionnant avec un logiciel de la société Esri et misant sur la technologie des systèmes d’information géographique, l’application permet aux équipes de conservation d’enregistrer la taille et l’emplacement de Spartina en temps réel. Téléphone en main, ces détectives de la conservation parviennent à rapidement trouver des colonies de Spartina – heureusement, car la menace que cette plante fait peser est sérieuse : délogement d’espèces végétales indigènes, réduction de la biodiversité, transformations des fonctions écosystémiques et risques accrus d’inondations. En outre, la croissance dense de Spartina peut mener à la création de monocultures qui privent la faune, y compris la sauvagine et les oiseaux de rivage, de sources de nourriture comme les invertébrés benthiques et le biofilm, essentielles en période de migration.

L’application a révolutionné la lutte contre Spartina. Grâce à l’afflux de données en temps réel, les conservationnistes peuvent suivre les populations, mesurer les progrès et mobiliser leurs ressources efficacement. Une fois qu’un lieu d’intervention est connu, une équipe de bénévoles et de conservationnistes entreprend d’y éliminer les graminées envahissantes selon une méthode adaptée à l’espèce de Spartina qui est en cause. Outre l’arrachage manuel, on a récemment commencé l’application directe d’un mélange d’herbicides faiblement concentré à l’aide d’une lance d’arrosage pour nuire le moins possible aux plantes indigènes. L’efficacité de cette méthode pour tenir en échec la croissance et le foisonnement de Spartina n’est plus à démontrer. Après l’enlèvement des graminées envahissantes s’ensuivent, au besoin, des travaux de remise en état du littoral par l’ajout de plantes indigènes – quoique, bien souvent, la nature fait son œuvre de revégétalisation sans que l’humain doive s’en mêler.

4. La conservation de l’isthme de Chignectou : la course pour consolider la côte Atlantique

Avec la hausse de la fréquence et de la gravité des phénomènes météorologiques, le Canada n’a plus de temps à perdre : il doit investir dès à présent dans les zones à haut risque. Or, peu d’endroits sont plus vulnérables aux changements climatiques que l’isthme de Chignectou. Seul lien routier et ferroviaire entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, cette bande de terre est un couloir de circulation vital qu’empruntent 50 millions de véhicules et qui facilite des échanges commerciaux de 20 milliards de dollars chaque année. C’est aussi un espace habité et parsemé de champs cultivés.

L’isthme de Chignectou contient certains des écosystèmes canadiens les plus prolifiques, dont des marais salés qui captent et emprisonnent le carbone, atténuent les risques liés aux inondations et à la hausse du niveau de la mer, préviennent l’érosion, filtrent l’eau et procurent un habitat essentiel à la faune. À regret, l’activité humaine a déjà fait disparaître plus de 60 % de ses milieux humides.

Leader canadien en conservation et en remise en état des milieux humides, CIC est déjà à pied d’œuvre dans ce couloir avec plus de 200 chantiers couvrant quelque 8 000 hectares, et pour mener son travail à terme l’organisation peut compter sur l’aide financière de tous les ordres de gouvernement, du secteur privé, d’organisations partenaires et de supporteurs individuels. Tout le monde devra tirer dans la même direction pour conserver et remettre en état les habitats névralgiques de ces marais salés et pour donner à l’isthme une chance réelle de résister aux bouleversements climatiques et écologiques qui s’annoncent.

5. La technologie au service de la cartographie des milieux humides : faire le compte de nos richesses

Pour gérer une chose, il faut d’abord la mesurer. La conservation et la remise en état des milieux humides soumis aux marées ne pourront devenir prioritaires que le jour où ces milieux auront été cartographiés. Les cartes contribuent au classement des milieux humides et communiquent des informations sur les taux d’humidité, l’hydrodynamique, la densité en carbone, les niveaux de nutriments et plus. Elles sont aussi des instruments de suivi des progrès en cours au chapitre de la conservation.

Les progrès technologiques ont amélioré tous les aspects de la cartographie. Les coûts d’obtention et d’analyse des données ont chuté d’environ 75 % grâce aux instruments commandés à distance comme les drones et la puissance des logiciels d’apprentissage machine comme ceux d’analyse d’images orientée objets. Si on ajoute la baisse des coûts de stockage des données, on comprend que l’évolutivité et la répétabilité sont devenues possibles en cartographie.

Il n’a jamais été facile de mesurer la pleine valeur de ce qu’apportent les milieux humides. Par conséquent, on n’en a guère tenu compte au moment d’arrêter des décisions d’aménagement. Mais les choses changent. L’an dernier, Statistique Canada et Environnement et Changement climatique Canada se sont associés pour mettre au point le Recensement de l’environnement avec l’aide de Ressources naturelles Canada, Agriculture et Agroalimentaire Canada et Pêches et Océans Canada. Jim Brennan, directeur national des relations avec les gouvernements et le secteur privé de CIC, a été nommé président du comité consultatif national externe de Statistique Canada. Le but du recensement est de produire le premier registre pancanadien des écosystèmes, dans lequel la taille et l’état des milieux humides, des zones côtières, des forêts urbaines et autres feront l’objet d’un suivi dans la durée.

Plus on comprendra les rapports complexes entre les écosystèmes, d’une part, et l’économie, la société et la santé humaine, de l’autre, mieux on pourra développer le cadre d’analyse qu’il faut pour savoir si le Canada atteint ses buts et pour se donner un avenir plus viable.