Beaucoup d’entre nous éprouvent un bonheur indicible lorsque nous sommes proches d’un milieu humide local au coucher du soleil et que des nuées d’oiseaux rentrent après s’être nourries le soir. D’autres chérissent la tradition familiale qui consiste à installer un affût dans un marais par un frisquet avant-midi d’automne.
Après des décennies de fructueux travaux de conservation partout en Amérique du Nord, les populations de sauvagine sont vigoureuses : elles nous offrent des occasions infinies de profiter de leur majesté et de leur abondance. Or, nos amis plumés ont plus à offrir que ce que vous pourriez croire. Comme ambassadeurs des canards, nous avons le devoir de mettre en lumière les services moins connus et exceptionnels qu’ils nous offrent. Permettez-nous de chanter (en cancanant et en cacardant) leurs louanges.
Livraison expresse!
La sauvagine et les oiseaux aquatiques font partie intégrante des écosystèmes de milieux humides. Ils sont vigoureux et se déplacent souvent dans les airs, ce qui permet de les observer assez facilement. Et puisqu’ils sont mobiles, ils parcourent de longs trajets et s’arrêtent, chemin faisant, dans différents milieux humides. Ils amerrissent chaque fois avec fracas dans ces postes de ravitaillement migratoires et laissent chaque fois un colis derrière eux, un peu comme s’ils étaient livreurs pour Amazon.
L’an dernier, CIC a restauré plus de 20 200 hectares de milieux humides. Quand la sauvagine visite ces habitats nouvellement restaurés, elle peut favoriser la biodiversité en apportant des espèces de végétaux, d’invertébrés, d’amphibiens et de poissons venus d’ailleurs. Par exemple, les œufs de grenouilles sont parfois transportés d’un étang à l’autre s’ils sont collés sur les pattes d’une oie. Les larves d’insectes qui survivent dans le tractus intestinal d’un canard sont parfois déposées dans un milieu humide éloigné de l’endroit où elles ont été avalées.
Cette méthode de livraison dans chaque milieu humide fonctionne aussi pour les écosystèmes établis. En raison du changement climatique, la dispersion par les oiseaux aquatiques permet aux espèces de transformer leur envergure. Quand la météo devient plus clémente, la sauvagine permet parfois à d’autres espèces de s’étendre au nord dans les climats dans lesquels elles peuvent continuer de prospérer. La sauvagine favorise aussi un capital génétique diversifié des espèces, ce qui leur permet plus facilement d’éviter la consanguinité et de s’adapter à l’évolution des environnements. Le fait de réunir de nombreux types de gènes donne aux espèces une trousse d’outils qui leur permet de mieux affronter l’adversité. D’une manière ou d’une autre, la dispersion par les oiseaux aquatiques fait rejaillir des avantages sur les différentes espèces et améliore la biodiversité dans les milieux humides.
Souci de la sécurité
Les bernaches du Canada sont bien connues pour protéger leurs nids et leurs oisons pendant la saison de la nidification. Leur agressivité peut être utile à d’autres oiseaux qui nichent non loin d’elles, en tenant à l’écart les prédateurs — et les humains —, ce qui permet aux oisillons de survivre, quelle que soit leur espèce.

Lutte antiparasitaire
Les espèces introduites ou envahissantes brandissent souvent un drapeau rouge — et à juste titre. Elles ravagent les écosystèmes naturels et entrainent des conséquences économiques majeures. Même si elle peut éventuellement étendre à de nouveaux secteurs les espèces indésirables, la sauvagine peut souvent être utile dans ce cas également. Par exemple, les canards plongeurs comme le fuligule se nourrissent de moules zébrées envahissantes, ce qui permet d’en réduire la prolifération. Il en va de même des phytoravageurs. Les canards qui passent l’hiver dans les rizières inondées mangent les graines des mauvaises herbes, ce qui donne aux agriculteurs une longueur d’avance dans la saison agricole suivante. Les canetons peuvent eux aussi juguler les populations de parasites. Ils avalent énormément de larves, qui deviendraient normalement des moustiques voraces nuisibles.
Notre bas de laine
Tous ceux et celles qui ont de la difficulté à prendre conscience des nombreux bienfaits de la sauvagine pour les écosystèmes devraient savoir qu’elle nous apporte aussi un concours financier. Si tous les chasseurs investissent dans la chasse à la sauvagine, chaque canard vaut à lui seul 26 $ dans l’économie canadienne (sans parler des collectivités nordiques qui vivent traditionnellement de la chasse à la sauvagine, qui est toujours une pierre angulaire pour bien des cultures). Et en Islande, l’un des derniers pays où l’on récolte le duvet des canards non domestiqués, les plumes de l’eider rapportent 40 millions de dollars dans le commerce de détail.
Il est rassurant de savoir que, quelles que soient les raisons pour lesquelles nous préservons les milieux humides, les travaux que nous menons pour les canards viennent appuyer des centaines d’autres espèces, y compris les humains que nous sommes.